Iktomi et le coyote
Raconté par Zitkala Sa, adaptation en français et lecture par M Pascal Michel, donateur de l’association
Dans un pays lointain, sur un immense plateau, le soleil d’été brillait de mille feux. Ici et là, sur les collines verdoyantes, poussaient de gros buissons touffus de plantes grisâtres. Vêtu d’une tunique et d‘un pantalon en daim ornés de franges, Iktomi, la tête nue et sa chevelure noire brillant sous le soleil, marchait, seul au milieu de la prairie. Il avançait dans l’herbe haute et ne suivait aucune piste bien visible.
Il progressait lentement dans la grande plaine, changeant souvent de direction pour passer d’un gros buisson à l’autre. Le pied léger, il se déplaçait lentement comme un chat sauvage aux aguets, rôdant silencieusement dans l’herbe épaisse. Il s’arrêta à quelques pas d’un très gros buisson de sauge sauvage. Il inclina la tête d’une épaule à l’autre. Un peu plus loin, prenant appui sur la jambe gauche puis sur la droite, il inspecta soigneusement le sol autour de lui. Au bout de quelques pas, il se baissa, étirant son long cou mince à la manière d’un canard, pour découvrir, derrière un fourré d’herbes sauvages, ce qui ressemblait bien à un manteau de fourrure.
Un loup de prairie à l’élégante tête grise, son museau noir et pointu niché entre ses quatre pattes confortablement repliées ; sa belle queue touffue enroulée autour de son museau et de ses pattes ; un coyote endormi à l’ombre des broussailles ; voilà ce qu’Iktomi venait de découvrir. Prudemment, il souleva un pied et le reposa tout doucement dans l’herbe. Lentement, il déplaça l’autre pied en le posant devant l’autre. Il s’approcha ainsi de la boule de poils ronde allongée, immobile, sous la sauge. Iktomi s’immobilisa, debout à côté d’elle, observant les paupières fermées que nul frémissement ne venait animer. Pinçant les lèvres et hochant doucement la tête, il se pencha au-dessus du coyote. Il colla son oreille devant la truffe de l’animal, pas un souffle d’air n’en sortait !
« Mort » soupira-t-il au bout d’un moment. « Mort, mais il n’y a pas si longtemps il était en train de courir dans la plaine ! Il y a encore une plume coincée entre ses griffes. Voilà un bon morceau de viande bien grasse. » Saisissant la patte à laquelle était fixée la plume, il s’exclama « ma parole, il est encore chaud ! » Je vais le rapporter chez moi et en faire un bon rôti pour mon dîner. Ah-ha ! Se dit-il en riant, puis il attrapa le coyote par les quatre pattes pour le mettre sur ses épaules. Le coyote était de belle taille et le tipi était à bonne distance de l’autre côté de la prairie. Affamé et se léchant d’avance les babines, Iktomi progressait péniblement sous le poids de son fardeau. Il clignait souvent des yeux pour empêcher la sueur inondant son visage d’y pénétrer.
Et pendant tout ce temps, le coyote, les yeux grands ouverts admirait le ciel. Affichant un large sourire, il laissait apparaître de grandes dents blanches étincelantes.
« C’est fatiguant de se déplacer par ses propres moyens, par contre être porté comme un guerrier après une belle bataille, c’est vraiment amusant ! » se disait le coyote en son for intérieur. Personne ne l’avait jamais porté sur son dos et cette nouvelle expérience le remplissait de joie. Paresseusement allongé sur les épaules d’Iktomi, il se contentait de cligner de temps en temps de ses yeux bleus. Avez-vous vu l’oiseau à l’œil bleu cligner de l’œil ? disent les Lakotas lorsqu’ils veulent savoir si vous êtes bien attentifs. C’est ainsi qu’est né ce dicton des Indiens des plaines. Lorsque, à quelques pas de vous, un oiseau reste là à observer vos faits et gestes, une fine peau d’un bleu diaphane recouvre rapidement ses yeux et disparaît tout aussi rapidement ; c’est tellement rapide que vous pourriez croire qu’il vous a fait un clin d’œil bleu. Lorsque les enfants somnolent, ils clignent aussi parfois des yeux dans un éclair bleuté, mais d’autres, trop fiers pour regarder les gens d’un air amical, cligne des yeux de la même façon froide et distante.
Le coyote se laissait aller, envahi par la somnolence mais aussi par la fierté. Ses clins d’œil étaient presque aussi bleus que le ciel.
Interrompant brusquement ce plaisir inhabituel, le balancement s’arrêta. Iktomi avait atteint sa demeure. Il saisit le coyote, maintenant parfaitement réveillé, et ouvrit les mains. Le coyote sentit qu’il tombait en fendant l’espace, puis il percuta le sol avec une telle violence qu’il en eut le souffle coupé pendant plusieurs secondes. Il se demanda ce qu’Iktomi allait faire, alors il resta allongé, parfaitement immobile, à l’endroit où il était tombé. En fredonnant un chant de danse, choisi dans son répertoire de chants mystérieux, Iktomi se mit à sautiller et se lança dans une danse et un festin imaginaire. Il ramassa des brindilles de saule secs et les brisa en deux sur son genou. Il fit un grand feu à l’extérieur de son tipi. Les flammes s’élançaient vers le ciel en traînées rouges et jaunes. Puis, Iktomi se dirigea vers le coyote qui n’avait pas cessé de l’observer à travers ses cils.
L’attrapant de nouveau par les pattes, il le balança d’avant en arrière. Puis, alors que le mouvement le rapprochait des flammes rouges, Iktomi le lâcha. Une fois de plus, le coyote vola dans les airs. L’air brûlant envahit ses narines. Il vit les flammes rouges et dansantes et l’instant d’après tomba sur un lit de braise crépitantes. En un éclair, il bondit hors des flammes. Jaillissant de ses pattes, une pluie de braises rouges retomba sur les bras et les épaules nues d’Iktomi. Abasourdi, celui-ci crut voir un esprit jaillir de son feu. Il en resta bouche bée. Il se passa la main sur le visage puis se couvrit la bouche. À grand-peine, Il réprima un hurlement.
En se roulant dans l’herbe et en se frottant la tête sur le sol, le coyote parvint à éteindre le feu qui avait pris dans sa fourrure. Les yeux exorbités, Iktomi soufflait sur ses bras pour refroidir ses brûlures.
Assis de l’autre côté du feu, le coyote se mit à se moquer d’Iktomi.
« La prochaine fois, mon ami, ne vend pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Vérifie que ton ennemi est bien mort avant d’allumer le feu ! » Puis, il s’enfuit en courant, sa longue queue touffue dans le prolongement parfait de son échine.
Source: Zitkala-Sa, Old Indian Legends (Vieilles Légendes Indiennes), University of Nebraska Press, Oklahoma, 1985.
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