Le Bison-tȟatȟáŋka : se donner en sacrifice pour le bien des autres

 

Il faisait encore nuit lorsque les élèves et le personnel de l’École Indienne St Joseph du Dakota se levèrent par un matin froid de novembre. L’herbe était couverte de cristaux givrés, et le souffle du groupe s’exhalait comme des nuages dans l’air frais d’automne.

Ils s’étaient tous levés de bon matin dans un seul but : c’était le jour de la chasse du bison.

« Vous êtes prêts ? » s’écria LaRayne, enseignante en études amérindiennes, depuis le siège du conducteur après que tout le monde eut pris place dans le bus.

« Allons-y ! » s’écria l’un des élèves de quatrième.

Et après un toussotement et un grondement du moteur, le groupe partit vers Lower Brule, une réserve du Dakota du Sud, où deux anciens de la tribu Kul Wicasa Oyate (tribu Sioux de Lower Brule) les attendaient.

À mesure que les vastes étendues de prairie défilaient le long de la route, les élèves étaient tranquillement assis sur leur siège. Bien qu’il y ait eu beaucoup d’agitation et de conversation avant le départ, le calme de l’extérieur avait fini par s’imposer à l’intérieur du véhicule — il régnait une atmosphère d’attente silencieuse.

La prairie ressemblait à un tableau d’herbes jaunes, parsemé de quelques taches sombres provenant de bovins et d’arbres nus. Alors que le soleil se levait à l’horizon, dans des teintes rouge-orange rouillé, d’autres animaux commencèrent à apparaitre. Les élèves pouvaient voir des dindons, des chevaux et des cerfs sauvages le long de la route cahoteuse et sinueuse, mais l’animal le plus attendu en ce jour spécial, celui qui surpassait tous les autres était tȟatȟáŋka – le bison. 

Arrivée sur le site de  Kul Wicasa Oyate, réserve de Lower Brule

Vue sur le Missouri depuis une colline située dans la réserve de Lower Brule.

A leur arrivée, le groupe s’est d’abord arrêté aux bureaux tribaux pour faire connaissance avec les anciens et les responsables fédéraux de la faune, qui ont permis l’organisation de cette journée.

« Mitákuyepi! » dit Alvin Grassrope, un des anciens. « C’est notre façon Lakota de vous saluer — de vous dire bonjour, ma famille. »

Les élèves ont répondu, puis se sont tu pour écouter comment la journée allait se dérouler. C’était une première expérience pour tous.

« Ce à quoi vous allez assister, dit Alvin, est une chose tellement unique. Il [le bison] va se sacrifier pour vous… il s’agit là de quelque chose de très, très puissant. »

Dewayne Goodface, un autre ancien, et l’une des dernières personnes à parler couramment lakota, a acquiescé et s’est adressé aux élèves.

« Je suis très heureux de vous avoir parmi nous. J’espère que vous apprendrez quelque chose de cette expérience pour le transmettre aux autres », a-t-il dit.

Les élèves sont remontés à bord du bus pour se rapprocher du troupeau, où un bison mâle allait se donner en sacrifice pour les élèves de l’École indienne St Joseph du Dakota et leurs familles.

Alors que les chasseurs se mettaient en position, les élèves et le reste du personnel se sont rassemblés en un cercle de prière au sommet d’une colline surplombant la vallée de la rivière. Tout le monde a eu l’occasion de se purifier pendant l’azilya — aussi connu sous le nom de purification — en répandant de la fumée de sauge brûlée sur son corps tout en priant.

« Grand Esprit, nous prions aujourd’hui afin d’avoir des oreilles et des cœurs ouverts », pria LaRayne. « Nous prions afin que nos élèves portent ces enseignements avec eux pour le reste de leur vie. »

D’autres personnes du cercle disaient à leur tour ce qu’ils espéraient de cette journée. Les élèves et le personnel ont prié pour plus de compréhension, de spiritualité et de connexion.

« J’espère apprendre quelque chose que je pourrai transmettre aux autres », a déclaré Sheryea, une élève.

L’ultime sacrifice

Le bus de l’Ecole indienne St Joseph du Dakota et le reste du groupe ont dû se rendre sur un autre site plus accessible.

Les chasseurs et les anciens ont décidé que le site de Lower Brule pour la chasse au bison serait problématique, car il serait impossible pour le bus de parvenir jusqu’au lieu du sacrifice. Ils ont donc envisagé une 2ème solution et emmenèrent le groupe à Kennebec, S.D., une vingtaine de km plus à l’ouest, où le troupeau serait plus accessible.

Alors que les voitures des chasseurs et des anciens se rapprochaient du troupeau, le bus des élèves s’arrêta, et les jeunes les regardaient s’éloigner. Puis, un bruit d’arme a feu déchira le silence de la prairie.

“Quand j’ai entendu le coup de fusil, j’étais triste, mais j’étais heureuse et reconnaissance pour le sacrifice. C’était une grande expérience pour moi,” dit Neleigh, l’un des élèves.

Lors d’une chasse au bison, les membres du troupeau se séparent jusqu’à ce qu’un bison reste au centre, seul, en signe de sacrifice, pour s’offrir au peuple lakota.

Le tȟatȟáŋka — bison — est le symbole du don de soi ; il donne jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Et ce jeune bison a péri pour améliorer le bien-être des autres, de ses proches.

Les élèves ont rejoint le reste du groupe and se sont mis en cercle autour du valeureux bison. Alors que le bison commençait à être dépecé, les jeunes apprirent à reconnaître les différentes parties du bison, chacune ayant une fonction bien précise.

Les chasseurs commencent à dépecer soigneusement le bison.

Joe, Directeur de la mission intégration, raconte comment, pendant ce temps de silence et de découverte, les élèves et les accompagnateurs ont connecté leur propre vie spirituelle au bison.

“Les élèves ont vu leurs ancêtres dans ce bison”, dit-il. “Ils ont compris le sacrifice du bison pour l’amour des autres.”

En plus de cela, les élèves ont exprimé toute leur gratitude.

“Je suis reconnaissant envers le bison de nous avoir donné sa vie”, dit Richard, un élève de fin de collège.

Toutes les parties du bison sont utilisées

LaRayne, enseignante en études amérindiennes, explique aux élèves à quoi sert chaque partie du bison.

Historiquement, le bison pourvoyait à tous les besoins du people lakota : sa peau servait à recouvrir les tipis, et à recouvrir les corps et les pieds grâce à la fabrication des vêtements et des mocassins. Avec d’autres parties du bison, les Lakota fabriquaient des ustensiles, tels des aiguilles, du fil, des tasses, des bols, et plus encore.

Et ce bison a réellement donné sa vie pour le bien de l’Ecole indienne St Joseph du Dakota.

Comme l’auraient fait les ancêtres des élèves, l’Ecole indienne St Joseph du Dakota a décidé d’utiliser toutes les parties de l’animal.

La peau du bison a été exposée en classe, pour rappeler au plus jeunes qu’ils vivront également cet événement lorsqu’ils seront en dernière année de collège. Le crâne a été gardé pour être utilisé lors des cérémonies purification et autres événements.

Aucun morceau de viande n’a été gaspillé. Pendant que les élèves partaient au musée Aktá Lakota pour en apprendre davantage sur le bison, l’animal fut conduit dans une usine afin de transformer la viande en batônnets de viande séchée.

Ceux-ci furent distribués à tous les parents et tuteurs, venus à l’école déposer leurs enfants après les vacances d’hiver. D’autres parties de l’animal ont été transformées en viande hachée qui a servi à la cuisine des familles d’accueil et de la cantine.

“L’opportunité de nourrir nos élèves, ainsi que leur famille pendant cette période particulièrement difficile pour beaucoup, est une grande bénédiction” dit Joe.

Un sacrifice pour boucler la boucle

Et, bien que de nombreux jours s’étaient écoulés depuis le jour de la chasse au bison, les bienfaits qui en découlaient continuaient là. Alors que les élèves s’assoient ensemble pour les repas, dans leur famille d’accueil ou à la cantine, le bison est à nouveau ce qui les rassemble – ce qui les relie.

“Nous aimons le bison et avons déjà utilisé sa viande pour nos repas, sous forme de ragoût ou de plat au four », dit Rich, un parent d’accueil. “Il va sans dire qu’il ne restait plus rien dans nos assiettes. Les filles se sont régalées, et nous aussi. Tara (l’autre parent d’accueil et épouse de Rich) et moi avons eu le dernier petit morceau qui restait dans le plat une fois qu’elles s’étaient servies ».

Exprimer sa gratitude lors des repas et des moments comme ceux-ci permet de lier toute l’expérience dans son ensemble.

Le bison se donne entièrement jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Il sacrifie sa vie pour le bien du peuple lakota.

Wóphila tȟáŋka— tous nos remerciements — au personnel de l’école, aux membres des tribus et aux anciens, qui ont fait de cette expérience culturelle une réalité pour les élèves de l’École indienne St Joseph du Dakota

Merci aussi à nos généreux donateurs du monde entier. De telles expériences sont rendues possible grâce à votre wačháŋtognaka — générosité.